MESTRES Jean, l'artilleur dans l'Armée de l'Air
"Je suis né le 15 mars 1921 à Banyuls.
En mars 1942, je suis revenu des Chantiers de jeunesse où j'étais resté 8 mois à Argelès-Gazot [Arriège]. Là-bas j'ai eu 8 angines. Le docteur l'a confirmé par un certificat. Je me suis marié le 20 juin 1942 avec ALIO Jeanne et on habitaient au-dessus du magazin de mon père avec qui je travaillais comme plombier, 1 Place Paul Reig. J'avais 21 ans.
Dans le cadre de la Relève [pour un prisonnier français libéré, 2 travailleurs français doivent partir en Allemagne], j'ai reçu un courrier daté du 22 décembre 1942 pour aller passer une visite à Perpignan, mais je n'y suis pas allé. Les gendarmes apportent une lettre à la maison datée du 05 février 1943 stipulant que je dois partir le 11 février à 8H50 de la gare de Perpignan. Fort du certificat concernant les angines, je me rends à la Kommandantur située derrière l'ancien Comptoir des Fers et Quincaillerie [magasin situé Rue de l'Argenterie] à Perpignan. On m'envoie consulter le docteur TOUBERT. Il est formel : "Il faut opérer". Je retourne à la Komandantur où je m'entends dire : "Opéré ou pas vous partirez au convoi de mars !" Je me suis fait opérer.
Mais, ma décision est prise : je n'accepte pas la défaite et c'est comme ça. Déjà, après l'appel du Général de GAULLE,j'étais allé voir le commandant du port de Port-Vendres car un détachement de l'école de l'air de Rochefort devait embarquer le lendemain pour l'Algérie. Mais, le lendemain ... pas de bateau !
La veille, le 26 février 1943, notre classe [tous les Banyulencs nés en 1921] est convoquée en mairie où on nous informe que nous devons allé passer une visite à Argelès-sur-Mer pour le départ au STO. On discute entre copains. Je leur dit : "Moi, je ne vais pas à la visite, puisque je suis déjà marqué au convoi de mars". "Tu pars en Allemagne ?" "Que veux-tu faire ? Je suis marié moi". En moi-même je me disais : "Si vous saviez que demain je franchirai les Pyrénées !" Mais, à cette époque, il ne fallait pas trop parler, car on ne sait jamais. Seuls mon épouse, mes parents et mon beau-frère MORET étaient au courant de ma décision.
Le 27 février 1943, à 8H, avec mon père, nous prenons la direction de Cerbère, à bicyclette. Mon oncle Abdon qui était chef de train, devait me faire passer jusqu'à Port-Bou, mais contre-ordre : "Pas aujourd'hui, car on fouille le train." MET, le matelassier de Cerbère, dont les parents habitaient à Gariguella [village frontalier situé en Espagne] derrière la frontière m'accompagne. A 13H30, on part de la vigne de Peyrrefite [lieu-dit situé entre Banyuls-sur-Mer et Cerbère], direction le Pla-de-Ras, le Coll-del-Torn et descente jusqu'à Gariguella. Le 27 au soir et le 28 je me cache chez les parents de mon beau-frère MORET.
Le lundi matin, le père MORET va voir le juge militaire de Figueras, qui a travaillé à Banyuls et qui connait bien ma famille. Il a promis de m'aider en facilitant mon passage : "Qu'il se présente au poste de police !" lui dit-on. Ce que j'ai fait. "Ce soir vous passerz la nuit en prison, mais manyana [demain] vous partirez. Manyana." me précise le policier. Neuf mois de prison s'en suivent : 3 mois à Figueras, 3 mois à Salt [prison de Girona], 48 heures à la Modelo de Barcelona et le reste au camp de concentration de la Miranda de Ebro. Enfin, un convoi par train nous conduit avec des centaines d'autres à Malaga où nous sommes parqués pendant 24 heures dans les arènes. J'embarque sur le "Lépine". Et à bord, surprise ! Je rencontre Louisette HAUT et son mari Clément qui étaient partis eux aussi.
Le 17 novembre 1943, Casablanca. Le 24 novembre, camp de triage de Mediouna près de la ville. Direction le centre de recrutement où je fais valoir qu'en 1940, j'avais passé les tests pour l'école de pilotage d'Istres. Je demande donc à être dans l'Armée de l'Air. On m'affecte à l'artillerie de l'Air pour la protection des terrains militaires, armée de canons Bofors. Les classes durent 1 mois et demi environs à Tipaza-Bérard. Puis en janvier 1944, par train nous allons à Blida où se forme le 40ème Régiment d'Artillerie de l'Air. Ensuite direction Bizerte pour la défense de la ville. Et là, je retrouve ... Jean FERRER, un Banyulenc qui était devenu Maire de Bizerte. Chaque jeudi j'allais chez lui. Le 24 juillet 1944, retour à Oran où nous embarquons sur un bateau transport de troupes.
Nous débarquons sur une plage entre Toulon et Marseille. Les canons suivent. Direction Orange, en camion. Les gens du village nous accueillent bien. Arrivée à Dijon où s'effectue la jonction entre les troupes du Nord et du Sud. Notre régiment est dissous et nous sommes envoyés à Salon-de-Provence où une partie du régiment forme le Secteur Air 3. Je suis chef de garage, puis retour à Salon. Je me souviens qu'en descendant, il y avait de la neige ! Puis, remontée pour la défense de Colmar en février 1945. Le régiment est arrivé en camion, 2 jours après la libération de la ville. Je suis resté à Colmar jusqu'à la fin. Nous étions dans un ancien couvent.
Libéré le 13 août 1945, je descends à Banyuls pour passer les 15 et 16 août. Je suis retourné à Salon le 17 pour la libération définitive.
Devoir accompli."
Témoignage recueilli par le Comité d'Investigation Historique (CIH)
Merci Jean pour ton engagement. Jean, à nous le souvenir, à toi l'immortalité.
Articles
- Pour découvrir l'histoire du Comptoir des Fer et Quincaillerie à Perpignan
- Pour lire la fiche du Chevalier FERRER Jean (1906-?)
Carte du périple de MESTRES Jean :