Lucien le fils unique d'Aristide MAILLOL, de la boue de Verdun aux combats aériens dans le ciel dijonnais
Introduction : La naissance et l'enfance d'Aristide (1861-1894)
Le 09 décembre 1861, devant SAGOLS Jean le maire de la commune de Banyuls-sur-Mer qui remplit la fonction d'officier d'état civil, se présente Raphaël MAILLOL âgé de 41 ans qui se déclare "épicier". Il présente au maire un enfant de sexe masculin, né la veille à 10 heure du matin dans la maison qu'il loue à MALEGUE Laurent dans le quartier dit du "bord de mer" ; enfant qu'il a eu avec son épouse ROUGE Catherine âgée de 30 ans et notée "sans profession". Raphaël déclare prénommer son fils "Aristide, Bonaventure, Jean". Les témoins de cette déclaration de naissance et signataires de l'acte sont : "Jean VILAREM boulanger âgé de trente cinq ans et François MONICH marchand d'étoffes, âgé de trente neuf ans, domiciliés en cette commune [Banyuls-sur-Mer]." Aristide est ainsi l'avant-dernier des 5 enfants du couple MAILLOL Raphaël et ROUGE Catherine.
- Pour découvrir l'enfance banyulencque d'Aristide : Enfance banyulencque d'Aristide et ses études à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts, 1861-1892
- Pour découvrir les études à l'école nationale des Beaux-Arts et ses débuts de peintre : Aristide Maillol, le peintre Nabi à la recherche du mystère féminin
Le retour d'Aristide à Banyuls, son mariage avec Clotilde et la naissance de son fils Lucien (1894-1896)
Après ses années de formation à Paris et son diplôme en poche, Aristide revient s'installer à Banyuls-sur-Mer en 1894, dans la maison du grand-père que lui a léguée sa tante Lucie. Frappé par les tentures médiévales dites de La dame à la licorne conservées au musée de Cluny à Paris, il décide d'ouvrir un atelier de tapisserie. C'est là qu'il rencontre sa future femme NARCIS Clotilde qu'il embauche en sa qualité de brodeuse. Cette jeune femme née le 04 juin 1873 dans la maison familiale sise dans le quartier du bord de mer à Banyuls-sur-Mer, est la fille de NARCIS Joseph marin âgé de 36 ans et de BONNAMOUSSE Marie sans profession âgée de 33 ans.
- Entre 1892 et 1895, Aristide réalise la décoration intérieure de la maison du capitaine de vaisseau et Officier de la Légion d'Honneur Marius DOUZANS, située à Banyuls-sur-Mer dans le quartier du bord de mer : Aristide Maillol le Banyulenc qui a réalisé les peintures murales de la Villa Douzans
En 1895, Aristide ferme son atelier de tapisserie à Banyuls-sur-Mer, et il repart accompagné de Clotilde sa fiancée, aménager au 282 de la rue Saint-Jacques dans le 5ème arrondissement de Paris. Le 07 juillet 1896, le jeune couple se marie dans la mairie du 5ème arrondissement à Paris.
Bien qu'il soit majeur puisqu'il est âgé de 34 ans, Aristide doit néanmoins recevoir le consentement de ses parents pour avoir le droit de se marier, car comme le rapelle le Dictionnaire de législation, de doctrine et de jurisprudence en matière civile, commerciale, criminelle, administrative et de droit public par A. Dalloz, édition de 1844 : "Il est un âge où les enfants capables de faire avec discernement le choix d’un époux, n’ont plus besoin du consentement de leurs parents ; mais ils doivent toujours honneur et respect". Raphaël le père d'Aristide étant déjà décédé, il lui faut le consentement de sa mère Catherine ... qui le lui refuse ! Encore une preuve supplémentaire de la mésentente qui régnait entre la mère et son fils. Sans se décourager, Aristide se rend à Collioure dans l'étude notariale de Maître TRINQUERA, le 18 mai 1896, afin de faire rédiger un "acte respectueux" qui fait office de consentement parental.
De son côté Clotilde produit le consentement écrit de ses parents et à 11 heure du matin, le couple est uni par PHILIPPON Alexis l'adjoint au maire du 5ème arrondissement. Les témoins du couple sont : PATRUIX Alexandre ingénieur âgé de 33 ans, DEVEZE Etienne avocat âgé de 25 ans, le Thurinois VIOLET Gustave élève architecte âgé de 23 ans et BELLOC Jean-Baptiste sculpteur âgé de 33 (l'auteur du buste en bronze qui orne l'obélisque de Banyuls rendant hommage aux Banyulencques et Banyulencs morts durant les batailles du col de Banyuls les 15 et 16 décembre 1793).
De cette union naît le 30 octobre 1896 à Banyuls-sur-Mer dans la maison d'Aristide, le seul enfant du couple, un fils prénommé Lucien, Joseph, Raphaël. La lecture des dates nous permet de dire sans offenser la mémoire de Clotilde, qu'elle était enceinte de 5 mois lorsqu'elle s'est mariée. Cette entorse aux coutumes et aux bonnes moeurs de l'époque, pourrait expliquer le refus de sa belle-mère Catherine d'autoriser son fils à l'épouser.
De plus, la lecture de l'acte de naissance nous apprend que le couple est descendu à Banyuls-sur-Mer pour que l'enfant voit le jour dans la maison qui a vu grandir Aristide. Est-ce Aristide qui voulait que son fils soit un enfant de Banyuls comme lui ? Est-ce Clotilde qui souhaitait se rapprocher de sa mère, afin de ne pas être seule dans cette période délicate d'avant et d'après naissance ? Probablement un peu des deux, mais en l'absence de documentation précise sur le sujet, ces questions ne trouveront pas de réponse satisfaisante.
Suivant ses parents, le jeune Lucien passe son temps entre la région parisienne (d'abord Paris jusqu'en 1896, puis Villeneuve-Saint-Georges jusqu'en 1903 et enfin Marly-le-Roi à partir de 1903), et Banyuls-sur-Mer.
L'engagement de Lucien durant la 1ère Guerre mondiale, de la boue de Verdun jusqu'au ciel dijonnais (1915-1919)
Le 12 avril 1915, alors que la 1ère Guerre mondiale fait rage depuis 9 mois, Lucien entre dans sa dix-neuvième année. Il est donc mobilisable. Bien que résidant à Marly-le-Roi dans la maison paternelle, mais étant né à Banyuls-sur-Mer, il se rend au bureau recruteur de Perpignan afin de se faire enregistrer. Après une sommaire visite médicale réglementaire, il est déclaré "bon pour le service" et reçoit le numéro de matricule 1146.
Le 03 décembre 1915, avec le grade de soldat de 2ème classe, il rejoint le 140ème Régiment d'Infanterie qui est au repos dans la commune d'Auxelles dans le territoire de Belfort, après avoir été décimé par sa participation à La bataille de Champagne, février-octobre 1915. Le 19 décembre 1915, à pied et par étapes, le régiment rejoint le camp d'Arches dans les Vosges, où il reçoit une instruction intensive jusqu'au 10 janvier 1916. Le 11 janvier, le régiment est embarqué dans des camions, pour être déployé à Thann en Alsace, dans un secteur calme. Le 11 février le régiment est relevé et se rend à pied et par étapes jusqu'à Montbéliard dans le Doubs.
Alors qu'il est occupé à organiser la défense de la frontière suisse, le 140ème Régiment d'Infanterie est rappelé d'urgence pour participer à La bataille pour défendre Verdun, février-décembre 1916 :
- Du 26 au 29 février 1916 : Le régiment est déplacé depuis Beaucourt dans le territoire de Belfort jusqu'à Ligny-en-Barrois dans la Meuse.
- Du 1er au 02 mars 1916 : Le régiment est en cantonnement d'alerte à la Caillette. Durant ce déplacement, le 02 mars 1916, Lucien est promu au grade de caporal.
- Du 03 au 05 mars 1916 : Le régiment est mis en réserve à Levoncourt via Silmont.
- Du 06 au 08 mars 1916 : Le régiment bivouaque à Courouvre.
- Du 09 au 21 mars 1916 : Arrivé à Ligny, le régiment reçoit l'ordre de se déployer sur le plateau de Fleury. Il débarque alors que la bataille fait rage et dans un paysage désertique où il n'existe quasiment aucune tranchée. Sous les bombardements allemands incessants, le régiment organise le terrain en creusant plusieurs lignes de tranchées, des abris et des postes avancés. Le 18 mars l'armée allemande lance l'attaque. De 6 heure à midi, l'artillerie allemande écrase les premières lignes françaises sous un déluge d'obus. Une demi heure plus tard, l'infanterie allemande déferle par vague sur les positions françaises. Après plusieurs heures de combats acharnés, la ligne française ne cède pas et les soldats allemands refluent vers leur position d'origine.
- Dans la nuit du 20 au 21 mars 1916 : Le régiment est relevé et va prendre quelques jours de repos bien mérité dans la commune de Haudainville.
- Du 30 mars au 13 avril 1916 : Le régiment est déployé à Eix-Decourt où il est chargé d'organiser le système de tranchées.
- Du 13 au 27 avril 1916 : Le régiment est relevé et mis au repos à Erize-Saint-Dizier afin d'être réorganiser.
- Du 28 avril au 06 mai 1916 : Le régiment est en cantonnement d'alerte à Belrupt.
- Du 07 au 13 mai 1916 : Le régiment est déployé à Eix-Decourt.
- Du 14 au 19 mai 1916 : Le régiment reçoit l'ordre de prendre la relève du fort de Vaux. 6 jours durant, l'artillerie allemande organise le blocus du fort. Coupés du ravitaillement les hommes commencent à ressentir le manque de nourriture.
- Du 20 au 23 mai 1916 : Le régiment est mis au repos sur des péniches à Haudainville.
- Du 24 au 29 mai 1916 : Le régiment prend la relève au bois de la Caillette.
- Le 30 mai 1916 : Le régiment reçoit l'ordre de soutenir la défense de la redoute de Fleury.
- Du 31 mai au 25 juin 1916 : Le régiment est replié sur Haudainville. Durant 3 semaines, le régiment reçoit de nombreuses recrues et effectue un entrainement intensif.
- Du 26 au 28 juin 1916 : Le régiment se déplace à pied et par étapes jusqu'à Somme-Dieue.
- Du 29 juin au 25 juillet 1916 : Le régiment est déployé à Dun-sur-Meuse, pour défendre la rive de la Meuse.
- Du 26 au 29 juillet 1916 : Le régiment a droit à 4 jours de repos à Somme-Dieue.
- Du 30 juillet au 09 août 1916 : Le régiment est envoyé aux Eparges, un terrain truffé de mines. Sous les bombardements allemands incessants, le régiment réorganise le système des tranchées totalement détruit.
- Le 10 août 1916 : Le régiment est mis au repos à Haudainville.
- Du 11 au 18 août 1916 : Le régiment se déploie dans le secteur de Rétégnebois qui subit une avalanche de bombardements allemands. Le 18 août l'offensive française est lancée à 15 heure. Malgré la bravoure française, elle est stoppée par un effroyable bombardement allemand qui décime les rangs du régiment.
- Du 19 au 21 août 1916 : Le régiment est relevé et envoyé à Belrupt pour prendre un repos bien mérité.
- Du 22 au 28 août 1916 : Le régiment est mis au repos à Longchamps-sur-Aire.
- Du 29 août au 02 septembre 1916 : Le régiment est mis au repos à Longeville.
Le 03 septembre 1916, le régiment embarque à Longeville dans la Meuse et débarque à Fismes dans la Marne. Le 07 septembre, il est déployé dans le secteur dit du Choléra (est de Berry-au-Bac), dans un secteur très calme. Le 18 septembre 1916, il est relevé pour être mis en réserve à Prouilly dans la Marne. C'est à l'occasion de cette mise en réserve que Lucien est évacué pour case de maladie.
Sa convalescence achevée, le 28 octobre 1916, Lucien est détaché pour suivre des cours de perfectionnement des mitrailleurs. Le 27 septembre 1917, sa formation terminée, il est versé dans le 1er groupe d'aviation stationné à Dijon dans la Côte-d'Or. Probabement après une formation d'une durée de 6 mois, le 06 avril 1918, Lucien décroche son brevet de "caporal pilote n° 12 650".
Cependant, l'aviation étant une arme nouvelle et la guerre faisant rage, il semble que la formation de Lucien ne se soit pas déroulée bien au chaud dans une école, mais bien directement sur les champs de bataille, puisque le 13 novembre 1917 seulement 6 semaines après avoir rejoint sa nouvelle affectation, il est cité à l'ordre du régiment : "Modèle de sang-froid et de courage, s'est distingué à nouveau le 23 octobre 1917 par son entrain remarquable lors de l'attaque des positions ennemies de la tranchées du Gard".
Après avoir passé 3 ans et 10 mois sous les drapeaux, Lucien est mis en congé de démobilisation le 29 novembre 1919.
Conclusion : Le monument aux morts de Banyuls, l'oeuvre d'Aristide le sculpteur marqué par les souvenirs d'Aristide le père
Une fois connu l'engagement de Lucien durant la 1ère Guerre mondiale, la lecture du monument aux morts de Banyuls-sur-Mer sculpté par son père Aristide au début des années 1930, prend une dimension plus humaine, plus intime. En effet, ce monument sobre nous raconte l'histoire d'une famille frappée par le deuil. Au centre se trouve le soldat mort, à sa droite nous entrons dans l'intimité d'une famille à l'instant effroyable où elle apprend la mort d'un mari, d'un père, d'un fils, d'un frère, et à la gauche du soldat se trouve le cortège funéraire qui va l'emmener vers le Panthéon, le paradis des hommes qui ont donné leur vie pour défendre leur pays.
Comment ne pas y voir les angoisses d'Aristide et de Clotilde, autant la peur des parents de recevoir la visite des gendarmes qui viennent annoncer le décès, que la joie d'ourvir la porte au facteur qui amène la lettre de l'enfant chéri prouvant qu'au moins à la date de la rédaction, il était toujours en vie ?
Merci Lucien pour ton engagement.
Lucien à nous le souvenir, à toi l'immortalité
Les sources disponibles en ligne
- Acte de naissance de MAILLOL Aristide : Archives Départementales des Pyrénées-Orientales (ADPO), Série 2E285, Commune de Banyuls-sur-Mer, Registres d'état-civil, Années 1858-1862, Page 225, Acte n° 204 de l'année 1861.
- Acte de naissance de NARCIS Clotilde : Archives Départementales des Pyrénées-Orientales (ADPO), Série 2E288, Commune de Banyuls-sur-Mer, Registres d'état-civil, Années 1873-1877, Page 42, Acte n° 135 de l'année 1873.
- Acte de mariage de MAILLOL Aristide et de NARCIS Clotilde : Archives de Paris (AdP), Série V4E 8392, 5ème arrondissement, Registre des actes de mariage, Page 5, Acte n° 544 de l'année 1896
- Fiche de matricule de MAILLOL Lucien : Archives Départementales des Pyrénées-Orientales (ADPO), Série 1R532, Commune de Banyuls-sur-Mer, Registre matricule n° 1001-1500, Page 302, Fiche n° 1146.
- Historique du 140ème Régiment d'Infanterie pendant la Guerre 1914-1918 : Bibliothèque Nationale de France (BNF), Base de données "Gallica", Série GG14182.