Le Chevalier MONICH Raphaël (1868-1924), le syndic principal des gens de mer à Cette
Le 17 février 1868, devant Jacques Vizer maire de Banyuls-sur-Mer, se présente Raphaël Monich marin âgé de 36 ans, venu déclarer la naissance la veille du fils qu'il a eu avec sa femme Marie-Josèphe Auriole-Trill âgée de 26 ans, et auquel il a été donné les prénoms de Raphaël, Jean, Sauveur.
Pour retracer la carrière de Raphaël, se repose le problème du "trop peu", comme pour BASSERES Jean (1877-1914). En effet, même si son dossier conservé dans les archives de la Grande Chancellerie est un peu plus fourni que celui de Jean, les documents qu'il renferme ne nous livrent que des informations sybillines. Il convient donc de rechercher les informations manquantes dans d'autres dépôts d'archives. Raphaël étant né à Banyuls-sur-Mer et ayant officier dans la ville de Cette (devenu Sète en 1927) dans le département de l'Hérault, tournons-nous vers les archives de ces départements. Si les registres matricules pour l'armée de terre sont disponibles à la consultation sur internet dans toutes les archives départementales, il n'en va pas de même pour les registres des gens de mer. En effet, aux archives départementales des Pyrénées-Orientales il est possible de consulter les dits registres pour les ports de Collioure et de Port-Vendres pour la période qui nous intéresse (1880-1920) ; les registres de Banyuls-sur-Mer tenus un temps par MASSOT François (1838-?) n'ont pas été versés aux ADPO. En revanche, intérrogée la banque de données des archives de l'Hérault reste muette sur ce sujet. Donc, une fois épluchés les seuls registres consultables aux archives départementales des Pyrénées-Orientales, le prénom et le nom Raphaël Monich n'apparaîssent jamais.
Ce vide archivistique est d'autant plus étrange que, si les relevés de carrière pour le personnel navigant de la Marine Nationale sont par habitude succincts, comme en témoignent entre autres les exemples de : PI Jacques (1821-1900), DOUZANS Sylvestre (1832-1917), DOUZANS Joseph (1839-1911), DOUZANS Marius (1848-1898), et PI Henri (1868-1928), en revanche, les relevés de carrière du personnel navigant de la marine civile (pèche et marchande) sont détaillés scrupuleusement, comme le démontrent les exemples de MASSOT François (1838-?) et de SAQUE Aubin (1858-1945).
En attendant, faisons donc avec le peu que nous avons ! Selon son relevé de carrière conservé dans son dossier à la Grande Chancellerie, nous savons que Raphaël est "Syndic principal des gens de mer à CETTE" et qu'à la date du "23 septembre 1920", la "Durée totale des services militaires et civils" qu'il a effectuée est de "28 ans 9 mois". Donc, en effectuant un simple calcul, il semble que Raphaël soit entré dans la marine civile et militaire, durant le mois de janvier 1892, alors qu'il était âgé de 22 ans.
Qu'a fait Raphaël avant d'intégrer le commissariat des gens de mer ? Avait-il déjà été marin ? A-t'il effectué son service militaire obligatoire dans la Marine Nationale ? Tournons-nous alors vers les registres d'état-civil. Nous découvrons que Raphaël s'est marié le 16 février 1895 à Banyuls-sur-Mer avec Bonafos Marie. Le couple donne naissance à 2 enfants. Le 1er enfant né en 1896 à Banyuls-sur-Mer est un fils prénommé Louis, qui va hélas trouver la mort durant la 1ère Guerre Mondiale : voir la fiche de MONICH LOUIS (1896-1918). Sur l'acte de naissance de son fils, Raphaël se déclare comme garde-côte. Le 22 août 1791, l'Assemblée Constituante confie à la marine devenue Nationale la défense militaire des côtes et la protection des navires marchands et de pêche, et à la douane la défense économique maritime en lui enjoignant, par l’article 6 du titre XIII du premier code des douanes, de "tenir en mer des vaisseaux, pataches et chaloupes armées". Ainsi, la protection du littoral français est mis sous la double tutelle du ministère de la marine (comme en témoigne la 1ère affectation de DOUZANS Marius (1848-1898) employé par le service des garde-côtes en Méditerranée au sortir de l'école des mousses) et du ministère des finances (voir la carrière de BELLE Fortuné (1862-1935)). Donc, il apparaît que durant les années 1892-1896, Raphaël a intégré le service des garde-côtes.
Dans la case "Situation diverse : fonctions électives, professions" du relevé de carrière de Raphaël, il est noté "Fourrier ordinaire sédentaire". Comme nous l'avons vu à de nombreuses reprise avec les exemples entre autres de RAYNAL François (1880-1918), COSTE Jacques (1869-1858), et VILAREM Alexandre (1849-1915), fourrier est une fonction exercée par un sous-officier de l'armée de terre. Et comme son étymologie l'indique, le terme "fourrier" étant issu du mot "fourrage", le sous-officier qui exerce cette fonction est chargé du ravitaillement et du logement de son bataillon lorsque celui-ci mène une opération sur le terrain. C'est donc un terme terrien qui fait son entrée dans la marine en 1758 avec la création des corps d'infanterie de marine (voir la carrière de BASSERES Jean (1877-1914)) et d'artillerie de marine (voir la carrière de SAGOLS Léon (1872-?)). Le fourrier de marine est quant à lui chargé des écritures et de la comptabilité à bord des navires de la Marine Nationale. Si dans l'armée de terre la fonction de fourrier est temporaire et dévolue à qui semble en mesure momentanement de l'assumer de par ses aptitudes naturelles, en revanche, dans la Marine Nationale, la fonction de fourrier est une spécialité qui ne s'acquiert qu'après avoir suivi une formation dispensée par l'École de comptabilité qui est établie dans les dépôts des Équipages de la Flotte. Il apparaît donc que Raphaël devait être un sous officier, soit quartier-maître (équivalent de caporal), soit second-maître (équivalent de sergent), soit maître (équivalent de sergent-major) dans le corps des garde-côte, pour lequel il exerçait à quai la fonction de fourrier, après avoir suivi une formation à l'école de comptabilité, probablement celle installée dans le 5ème dépôt des équipages de la Flotte à Toulon. Il assurait ainsi pour le personnel naviguant, la tenue des écritures relatives à la comptabilité du personnel, du matériel et, dans certains cas, de celle des vivres.
Quand est-il entré au commissariat des gens de mer ? Pour répondre à cette question, replongeons-nous dans les registres d'état-civil. Le couple qu'il forme avec Marie donne naissance en 1905, dans la ville de Cette, à une fille prénommée Marie. Il est donc probable que Raphaël ait intégré le commissariat des gens de mer installé dans le port de Cette, entre 1896 et 1905, sans que la documentation ne nous permette d'être plus précis, et que peu à peu, il ait gravi les échelons, depuis l'emploi de commis jusqu'au poste de syndic principal.
Comme DOUZANS Hyppolite (1872-1935), à une date et pour un motif que son relevé de carrière n'indiquent pas, Raphaël est promu "officer académique", c'est-à-dire qu'il est admis dans l'Ordre des palmes académiques..
Le 27 septembre 1920, alors qu'il est âgé de 52 ans, en récompense de son zèle et de son dévouement absolus dans l'administration de l'importante population maritime de Cette pendant la durée des hostilités (la 1ère Guerre Mondiale), Raphaël est admis dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur avec le rang de Chevalier. En effet, la 1ère Guerre Mondiale fait exploser le volume de marchandises qui passe par le port de Cette. Si le volume des échanges était de 1 million de tonnes en 1913, il passe à 1.8 millions de tonnes en 1916. Depuis le Moyen-Âge, Gênes en Italie est le port méditerranéen par lequel la Confédération Helvétique s'approvisionne et commerce. Mais l'extension des opérations militaires dans le nord de l'Italie après l'entrée en guerre de ce pays en 1915 pousse les Suisses à se tourner vers un port plus sûr, celui de Cette. La ville devient ainsi l’unique port suisse pour le ravitaillement alimentaire et industriel. Un accord commercial bilatéral est alors passé en 1915 qui permet aux Suisses de disposer d'entrepôts et de quais bénéficiant d’une législation particulière. Conséquence, de nombreux transitaires suisses viennent s'y installer, et en 1916, un tiers du tonnage total de la ville est à destination de la Suisse (contre environ 15 % avant guerre, dont la moitié pour les vins). De plus, le port de Cette est la porte d'entrée du canal du midi qui relie la mer Méditerranée à la ville de Toulouse, et qui se prolonge jusqu'à l'océan Atlantique grâce au canal de la Garonne. Cette voie fluviale est alors une véritable ligne vitale d'échanges pour une économie française qui souffre du conflit mondial. Il est donc économiquement primordial pour l'Etat français de maintenir le bon fonctionnement du port de Cette ; fonctionnement auquel participe activement Raphaël depuis son modeste bureau des inscriptions maritimes.
Le 20 mars 1924, soit 1 mois après avoir fêté son 56ème anniversaire, Raphaël décède en son domicile de Cette dans le département de l'Hérault.