Le périple de la Compagnie Catalane d'Orient dans l'Empire byzantin et en Grèce, 1282-1311

     Entre 1282 et 1288 Bernat Desclot chroniqueur natif du village de Castelnou, rédige une chronique qu'il intitule Llibre del rei en Pere d'Aragó e dels seus antecessors passats (Livre du roi Pierre d'Aragon et de ses prédécesseurs). Cette chronique raconte les faits historiques qui se sont produits dans la couronne d'Aragon entre le règne de Pétronille et celui de Pere III dit le Grand, ce dernier étant le protagoniste du noyau principal de cette chronique.

     Bernat Desclot raconte que durant le XIIIème S., se forme un groupe composé d'une douzaine d'hommes qui se livrent à des incursions d'un ou deux jours en terre sarrasine. Ils sont menés par un capitaine (almugatèn). Ils subsistent essentiellement du butin qu'ils pillent. Les noms  que portent leurs chefs (adalil de l'arabe ad-dalil, le guide, et almugatèn  de l'arabe al-mucaddem, celui qui dirige) montre de façon claire que leur organisation militaire est empruntée à l'art de la guerre des musulmans. Ce 1er groupe composé de catalans, d'aragonais et de musulmans attire rapidement de nouvelles recrues, jusqu'à compter 15 000 hommes constitués en compagnies. Affairé à reconquérir les territoires de la pénisule ibérique et des îles Baléares occupés par les musulmans, le roi Pere III d'Aragon enrôle ces rudes mercenaires.

     Bernat Desclot les décrit ainsi : « Ces gens que l'on appelle Almogavres ne vivent que par le métier des armes. Ils n'habitent ni les villes ni les bourgs, mais dans les montagnes et les bois, et ils guerroient tous les jours contre les Sarrasins: ils pénètrent chez eux une journée ou deux, pillant et s'emparant des personnes, puis ils s'en retournent avec leurs nombreux prisonniers sarrasins et beaucoup de butin divers. Ils vivent grâce à ces prises et supportent des conditions d'existence très dures, que le commun des mortels ne saurait endurer. Ils peuvent parfaitement rester deux jours sans manger s'ils ne peuvent faire autrement, ou alors ils peuvent se nourrir sans problème de l'herbe des champs. Ils sont guidés par des commandants éclaireurs (adalils) qui connaissent le pays et les chemins. Ils ne sont vêtus, été comme hiver, que d'une gonelle, ou chemise, très courte, et portent aux jambes des chausses fort étroites en cuir et aux pieds de grosses chaussures en peau. Ils ont un bon coutelas et une bonne ceinture d'où pend un fusil à aiguiser. Ils portent chacun une bonne lance et deux dards, ainsi qu'une panetière en cuir au dos, dans laquelle ils transportent leur pain pour deux ou trois jours. Ils sont forts et rapides, tant dans la retraite que dans la poursuite; ce sont des Catalans, des Aragonais et des Sarrasins. »

      En 1282, 15 000 Almogavres suivent Pere III lors de ses expéditions d'abord en Afrique puis en Sicile, où nombre d'entre eux restent pour défendre le fils de Pere, Fadric II en lutte contre les Angevins. Mais la  Paix de Caltabellotta signée en 1302 les contraint à l'inactivité. N'ayant pas les ressources pour nourrir une telle troupe et se méfiant de ces mercenaires remuants qui sillonnent dangeureusement les campagnes de son royaume, Faric II leurs conseille d'offrir leurs services à l'Empire byzantin.

     Entre 1325 et 1332, Ramon Muntaner trésorier de la Compagnie catalane rédige une chronique connue sous le nom de Chronique de Muntaner. Elle couvre la période qui va de la conception de Jaume Ier en 1207 jusqu'au couronnement d'Alfonso IV en 1328. Grâce à sa chronique, nous pouvons reprendre le périple des Almogavres, au moment où s'achève la chronique de Bernat Desclot. Ainsi, Ramon raconte qu'en 1302 les Almogavres se scinde en 2 groupes. Le 1er retourne dans la péninsule ibérique. Le 2nd se renomme la Compagnie catalane d'Orient. Ces 6 000 hommes se placent sous les ordres de Roger de Flor. Ramon Muntaner explique qu'avant de se jeter dans la mélée du combat, ils frappaient le fer de leur lance avec des pierres à feu. Les étincelles produites étaient accompagnées par leur fameux et effrayant cri de guerre, "Desperta, ferro! Desperta!" (Debout, fers ! Debout !).

   Roger de Flor offre ses services à l'empereur byzantin Andronic II Paléologue, en échange du titre de mégaduc, de la main d'une princesse impériale et, pour ses troupes, une solde deux fois plus importante que pour les mercenaires habituels. A la recherche désepérée de secours à l'étranger dans sa lutte contre les forces turques depuis plusieurs années, Andronic accepte les conditions. Dès leur arrivée en septembre 1303, les routiers catalans avec femmes et enfants gagnent Constantinople. Mais, se faisant rapidement remarquer ; ils massacrent toute une compagnie de Génois qui leur réclamaient le paiement de leurs dettes. A la suite de cet événement, Andronic les envoie en Asie mineure combattre les Turcs, qu'ils parviennent à chasser en quelques mois. Mais fidèles à leur réputation, les hommes de Roger de Flor commettent nombre d'excès qui font parfois regretter les Turcs aux habitants. 

     En 1305, Andronic II les rappèlent pour lutter contre les Bulgares. Mais l'armée byzantine n'avalise pas cet appel et Michel IX écrit à son père que l'arrivée des Catalans provoquerait une révolte dans l'armée., Andronic demandent donc aux Catalans de retourner en Asie. Installé dans la ville de Gallipoli, Roger de Flor, exaspéré de ces changements de direction, refuse et demande à Constantinople que ses soldats soient payés. Le basileus ne leur envoie que de modiques sommes. Roger de Flor décide d'aller à Adrianopolis pour saluer Michel IX Paléologue le fils aîné d'Andronic, ignorant tout de l'hostilité que nourrit ce dernier envers lui. Le jeune basileus le reçoit somptueusement et le fait tuer avec cent trente chefs almogavres.

     Au même moment des Turcs, appelés par Michel IX, débarquent à Gallipoli et tuent un grand nombre de Catalans. L'assaut dure quinze jours, mais la Compagnie résiste, malgré de lourdes pertes. Les Almogavres coulent leurs bateaux pour ne pas avoir la tentation de fuir Gallipoli et prennent toutes dispositions pour mieux résister. Leurs ennemis lancent un assaut majeur le 7 juin 1305. Les Almogavres contre-attaquent et les défont. Michel IX marche alors en personne contre Gallipoli, à la tête de nombreux cavaliers et fantassins (17 000 cavaliers et 100 000 fantassins selon la source catalane, ou 7 000 cavaliers et 8 000 fantassins selon les sources byzantines). Les Almogavres les défont à nouveau. 

     Sous le commandement de Berenger d'Entença, les Catalans massacrent la totalité des habitants de Gallipoli et créent une sorte d'État. Pendant deux ans et demi les Almogavres pillent, massacrent et réduisent en esclavage les populations du territoire byzantin. Peu à peu les ressources de la péninsule de Gallipoli s'épuisent et les Catalans décident de s'en aller vers la Grèce. Il quittent Gallipoli en juin 1308. Constantinople observe avec bonheur les Catalans quitter le territoire de l'Empire.

     Arrivés en Grèce les Catalans ravagent la péninsule de Kassandria et ses monastères bâtis sur le Mont Athos. Ne pouvant prendre Thessalonique, ils se dirigent vers la Thessalie où ils entrent au printemps 1309. Ils acceptent les propositions de Gautier V de Brienne, duc d'Athènes. En six mois les Catalans capturent trente places pour le compte du duc d'Athènes. Mais le duc fait l'erreur de ne payer qu'une partie des Catalans. En représailles, ces derniers se retournent contre Gautier et son armée. Lors de la bataille du lac Copaïs aussi appelée bataille d'Halmyros, ils remportent une dernière grande victoire contre les chevaliers francs de l'Achaïe et des îles. Attirés dans les marécages, les Francs sont presque entièrement massacrés par les Catalans le 15 mars 1311. En poursuivant les fuyards, les Almogavres entrent dans les villes d'Athènes et Thèbes, dans lequelles ils s'installent et fondent un État qui dure 80 ans.

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Pour lire la chronique Llibre del rei en Pere d'Aragó e dels seus antecessors passats, conservé par la Bibliotéca de Catalunya, suivez le lien ci-dessous :

Crònica :: Manuscrits (Biblioteca de Catalunya)

Pour lire l'article écrit par CIFUENTES i COMAMALA Lluís, intitulé "Les quatre grans cròniques catalanes, un dels millors conjunts historiogràfics de l’Europa medieval", paru en 2019 dans le n° 12 dans la revue Histoire catalane de l'Institut d’Estudis Catalans, Barcelonà, aux pages 137-149 (2019), suivez le lien ci-dessous :

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Pour comprendre la stratégie militaire de la Compagnie catalane d'Orient, regardez la vidéo intitulée L'esprit de corps : La Bataille d'Halmyros, disponible sur la chaîne YouTube "Sur le Champ", suivez le lien ci-dessous :